Quelles que furent les voies que le destin choisit d'emprunter, il réserva à cet endroit du monde un bien sale petit tour... Des centaines d'années plus tard, la mémoire des hommes devait bien vite s'empresser d'effacer cette si sombre période de son histoire. On ne se souvint que d'un âge obscur, baignant dans ce chaos de violence nébuleuse qui nimbe toutes les grandes étapes d'évolution de l'humanité.
Mais où s'arrête l'emprise du destin ? Où commence le choix des hommes ?
Moi, le Hasard, je me souviens. Et j'entreprends de vous livrer ici quelques bribes de mes souvenirs.
~ Politique ~
Je me souviens d'un début du 21ème siècle tourmenté. Les États-Unis d'Amérique, alors positionnés depuis de longues années comme les maîtres du monde en ressentirent les premières secousses. La Peur devint omniprésente : Nul roi ne dort paisible tant il tremble chaque jour pour conserver son trône. La révolution des sujets de sa majesté était en marche.
Les attentats terroristes se multiplièrent contre la grande nation. Tachant de répliquer à la violence par la violence, elle s'enlisa alors avec tout l'art du déclin dans une spirale de guerres à répétition. Son autorité de plus en plus bafouée sur la scène internationale mettait à mal ses dirigeants qui perdirent progressivement tout crédit aux yeux de leur peuple. Les États-Unis qui au siècle précèdent avaient fièrement brandit la couronne de l'humanité subirent tous les symptômes de la décadence. Cracks boursiers, chômage galopant, précarité en hausse constante... De scandales financiers en deuils amers pour les victimes des attentats, l'extrémisme se répandit comme une trainée de poudre dans les consciences. Face à un gouvernement incapable de faire face à cette crise généralisée et à garantir la sécurité de ses citoyens, l'impensable se produisit : La nation implosa, chaque état reprit son indépendance, mettant un terme définitif au rêve de ses pères fondateurs.
C'est dans l'un de ces pays neufs, le Michigan, au cœur de la région des grands lacs que nous conduit mon histoire. Detroit, fraichement promue au rang de capitale organisa sans tarder des élections qui portèrent au pouvoir le gouvernement d'un parti étonnement modéré pour cette période de troubles, Solidarity Futur, qui par sa pondération permit l'émergence d'une courte période de relative stabilité. Le principal parti d'opposition, Unity, Order & Progress, fut d'une incroyable virulence vis à vis de ce pouvoir jugé trop laxiste.
Je ne saurais décrire avec précision la suite des évènements... Il existe un territoire où moi même n'ai aucun droit de citer, un territoire dont je ne connais aucun secret, ni aucun rouage : Celui de l'insondable folie des hommes.
De nouveaux attentats frappèrent Detroit, ceux-ci dénués de toute revendication explicite. Une guérilla urbaine menée par des gangs sans bannière mit la ville à sang... Terreur muette, sans objet, sans paroles, sombre abîme d'une terreur aveugle. C'est des méandres de cette démence que naquit Hyperion.
« Hyperion » fut le nom profane donné à la pandémie provoquée par le virus XDH-DN2 qui décima atrocement la population du nord des États-Unis. Des centaines de milliers de morts. Face à cet épouvantable chaos, le gouvernement de Solidarity Futur démissionna, et sans surprise, Unity, Order & Progress fut massivement porté au pouvoir, sans aucune restriction... Et le vaccin tant espéré apparu presque simultanément.
Le Parti, sous l'égide charismatique de son égérie Carmen Fergusson, devint l'unique organe politique de son pays et lui imposa sa vision extrêmement conservatrice en réinstaurant l'ordre par une répression d'acier. Toute tentative d'opposition fut étiquetée de crime de haute trahison et les révoltes matées dans le sang. Les frontières furent hermétiquement closes, et le Michigan se referma dans une autarcie qui ne devrait plus jamais voir la lumière.
~ Science ~
C'est dans les mois qui suivirent que l'on découvrit avec stupeur les effets secondaires de la grande épidémie du virus Hyperion. Ceux qui avaient été malades et avaient survécu sans avoir été vaccinés développèrent d'étranges et inexplicables capacités. D'abord enfermés et étudiés ardemment par les scientifiques d'État, ils furent progressivement réintégrés non sans une excessive méfiance dans la société : Considérés comme mutants et potentiellement dangereux, ils furent aussitôt étroitement surveillés par le pouvoir, et contraints de se faire recenser auprès des autorités. Un mutant non officiellement reconnu comme tel et découvert par les services de l'ordre s'expose à la peine capitale.
Parallèlement, et dans le plus grand secret, les formidables avancées de la science toujours très encouragée mirent à jour une technologie de pointe exclusivement réservée à l'usage unique des hauts cadres du Parti : L'Intercision. Il s'agit d'une opération du cerveau consistant à y implanter une puce électronique octroyant des capacités surhumaines à son bénéficiaire. Ces nouveaux êtres, hybrides, emploient leurs forces à ce que toujours règnent les valeurs du Parti sur le Michigan, et plus spécifiquement sur Detroit. La technologie de l'Intercision est jalousement conservée secrète.
~ Ce qui se niche dans les angles morts de l'imaginaire
a parfois des relents de vérité ~
Voilà. Je vous ai conté l'histoire du Michigan. Ce qui suit désormais ne relève que de mes propres suppositions, bien qu'il m'arrive parfois d'en souffler quelques vérités à l'oreille de certains. Ce ne sont peut être que des légendes, des absurdités brandies par les rebelles pour faire vaciller le carcan d'acier du Parti... Qui peut savoir ?
Peut être le sais-je... Peut être le croirez-vous.
On raconte que c'est grâce à une très étroite collaboration avec la mafia de Detroit que Unity, Order & Progress accèda au pouvoir. Du commerce des armes et de la drogue aurait pu couler l'argent qui finança la terreur comme la recherche. On raconte que c'est de cette union de malheur qu'est peut-être bien né Hyperion et son antidote. On raconte que c'est dans ces mêmes laboratoires d'État que l'Intercision fut mise au point. Mais une fois victorieux, il est probable que le Parti dédaigna de remercier convenablement le réseau noir, et même se retourna ouvertement contre lui dans une hypocrite chasse à la criminalité.
Vengeance ? Cupidité ?... Sans doute les deux. La mafia s'empressa de vendre les secrets de la technologie de l'Intercision aux rebelles, les combattants de l'ombre. De nouveaux hybrides virent le jour dans les sous-sols de la ville, des hybrides cette fois-ci conçus pour combattre le pouvoir en place. Toutefois, faute de moyens, de qualifications et de matériel, les créatures nées de ces opérations clandestines développèrent des effets secondaires plutôt indésirables : Tous portent en eux les affres de la maladie mentale et ne sont que rarement fiables pour leurs créateurs... Mais les expériences se poursuivent. Car les rebelles portent toujours en eux les stigmates de leur étendard : L'Espoir.